Puisque notre ministre est friand d’initiatives portant sur des sujets consensuels qui ne manqueront pas de soigner sa côte de popularité et qu’il ne craint pas d’utiliser ce jour les enseignants pour confiner les lycéens dans un exercice de leur citoyenneté restreint à l’enceinte des établissements, nous choisissons de désobéir et de vous entretenir non de la fin du monde mais de la fin de la Fonction Publique et de l’extinction des fonctionnaires.
Qu’est-ce que la Fonction Publique ? Qu’est-ce qui différencie un fonctionnaire d’un salarié sous statut privé ? Le fonctionnaire est au service de la Nation et donc de l’intérêt général. Les conditions dans lesquelles il exerce ses missions sont formalisées par un statut, lequel comporte une partie législative, qui est votée par le Parlement. Ce statut, c’est un ensemble de textes législatifs et réglementaires qui prévoit et organise le lien entre le fonctionnaire et la Nation, durant sa période d’activité, mais aussi après, avec le code des pensions.
La déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 nous apprend que "Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents". L’Etat recrute en conséquence par concours les meilleurs éléments d’une génération pour assumer les charges publiques. Pour se prémunir de la corruption, de la prévarication, pour s’assurer de leur loyauté à l’intérêt général et pour les préserver des sirènes des intérêts particuliers, l’Etat garantit une carrière aux fonctionnaires ainsi recrutés, carrière qui doit assurer leur statut social et leurs conditions matérielles d’existence sur l’ensemble de leur période d’exercice mais aussi après. C’est la raison pour laquelle on distingue grade et emploi : conformément à l’exposé des motifs de la loi du 19 mai 1834 sur les officiers de l’armée de terre et de la marine, on considère que « si le grade appartient à l’officier, l’emploi appartient au roi". La carrière est garantie au fonctionnaire y compris lorsque son emploi est supprimé.
Le code des pensions est une prolongation de cette garantie de carrière au-delà de la période d’activité en ce qu’il prévoit que les retraites des fonctionnaires sont payées par le budget de l’Etat, comme leurs traitements, et non par une caisse de retraite alimentée par des cotisations variables. La pension du fonctionnaire est un salaire continué, ce n’est pas un salaire indirect ou socialisé. Aussi, la réforme des retraites que le gouvernement s’apprête à mettre en oeuvre est d’abord une attaque majeure contre la Fonction Publique car elle prévoit de mettre un terme au lien fondamental qui unit le fonctionnaire et la Nation. Il est en effet question qu’en 2025 les droits acquis dans le cadre du code des pensions soient soldés pour tous, et que tous les fonctionnaires basculent dans un régime universel à compter de cette date. Ce qui est improprement nommé "l’emploi à vie" des fonctionnaires n’existerait ainsi plus à compter de cette date.
En outre, la réforme de la Fonction Publique, dont le projet de loi sera bientôt présenté au Parlement, prévoit de développer la rémunération au mérite, au détriment du principe de carrière, mais aussi au détriment de la nécessaire solidarité des équipes et au détriment de l’intérêt général, car la rémunération au mérite et la culture du résultat qui la sous-tend font primer l’intérêt personnel ou la loyauté envers le supérieur hiérarchique direct sur la loyauté envers l’intérêt général.
La généralisation annoncée du recours au contrat en lieu et place du recrutement de titulaires prépare un mouvement de bascule comparable à ce que l’on a connu dans de grandes entreprises publiques dans les années 90, où les personnels sous statut sont passés de la norme à l’exception. Le dessaisissement des commissions paritaires, leur marginalisation dès le 1er janvier 2020, romprait avec le mouvement de démocratisation de la fonction publique, qui a prévalu au cours du XX° siècle, mouvement dont le programme du Conseil National de la Résistance et les lois Le Pors de 1983 / 1984 furent des jalons importants. Les projets gouvernementaux relèvent d’une conception autoritaire du fonctionnaire héritée de la culture bonapartiste et militaire, un fonctionnaire dont un éminent représentant de cette culture disait : "Il est un homme de silence : il sert, il travaille et il se tait". Ils jettent aux orties la conception, héritée de la Résistance, du fonctionnaire citoyen, citoyen par excellence, qui participe à l’organisation du service et à la gestion des carrières, parce qu’il est citoyen comme les autres, mais aussi parce qu’il est comptable du bon fonctionnement de l’Etat, fonctionnement qu’il connaît, sur lequel il a une analyse, un avis et des propositions pertinentes à formuler.
Comment ne pas voir à quel point le projet porté par cette majorité et ce gouvernement s’inscrit à rebours de ces principes fondamentaux de l’organisation de notre République, à quel point il trouve son inspiration dans une logique rétrograde ; particulièrement s’agissant du projet de réforme des retraites, du projet de loi sur la Fonction Publique, mais aussi du projet de loi Blanquer qui ne craint pas de dévoyer le sens des mots en se réclamant d’une " Ecole de la confiance " ?
Car le fonctionnaire citoyen, c’est aussi un fonctionnaire qui a le droit de s’exprimer, de donner son avis, de voir cet avis pris en considération, car il est acteur conscient du fonctionnement des institutions publiques auxquelles il participe. Il a le droit d’expression et il est associé aux prises de décision et à la mise en oeuvre des politiques publiques. Approche rétrograde donc dans cet article 1 du projet de loi Blanquer qui prévoit qu’un fonctionnaire pourrait être inquiété dès lors que son administration considère qu’il a nui à l’image et à la réputation du service public d’éducation ... Vaste programme ! Qui va rebours de la démocratisation du fonctionnement de nos institutions à laquelle aspirent nos concitoyens !
En ces temps où la communication du gouvernement cherche à masquer la réalité des régressions que constituent pour notre pays sa politique, nous pensons aux raisons qui ont fait de nous des fonctionnaires, aux principes qui légitiment notre action au quotidien, à ce qui fait la richesse et la beauté de nos missions... Ce qui nous motive est aux antipodes des conceptions philosophiques et politiques qui sous-tendent ces réformes des retraites, de la fonction publique, de l’éducation. Nous sommes déterminés à les mettre en échec et c’est la raison pour laquelle nous appelons les fonctionnaires de l’Education Nationale à se mettre massivement en grève le mardi 19 mars 2019. Et si le vendredi devient le jour de la fin du monde, pourquoi le mardi ne serait-il pas dorénavant consacré à la fin de la Fonction Publique ?
18 mars 2019