Monsieur le Recteur, Mmes et MM les membres de la CAPA,

La nomination de M. Ndiaye au ministère en replacement de M. Blanquer a pu un instant laisser espérer un changement salutaire, après 5 années de mépris et d’une politique brutale qui ont épuisé, découragé et révolté l’énorme majorité de nos collègues. Hélas, si, par sa personnalité, l’arrivée du nouveau ministre a pu être en effet initialement accueillie avec un certain soulagement, ce dernier risque bien d’être de courte durée, et l’on s’apercevra bien vite que c’est encore et toujours la même potion amère que l’on s’apprête à nous servir dans un nouveau flacon : la feuille de route de M. Ndiaye est dans la stricte continuité de la politique appliquée par son prédécesseur, et selon les propres dires du nouveau ministre, il n’y aura pas d’inflexion majeure.

À l’heure où la tension dans certaines disciplines contraint certaines académies à recourir à des procédés plus ou moins rocambolesques pour trouver dans l’urgence des moyens de remplacement – pour le moment, c’est « le bon coin » ou le « job dating », mais bientôt se sera peut-être Tinder ? au cas où cela intéresserait notre Rectorat, Tinder a dernièrement proposé ses services à la plate-forme du ministère du travail, « un jeune, une solution », pour faciliter l’accès des jeunes aux jobs d’été Cf l’article paru dans le quotidien Libération en date du 11 juin 2022 – à l’heure, donc, où la crise du recrutement et la pénurie de professeurs deviennent dramatiques, on aurait été en droit d’attendre, a minima, une véritable réflexion sur les causes de la perte d’attractivité de nos métiers auprès des jeunes diplômés, ainsi que la mise en oeuvre, depuis longtemps demandée par le SNES-FSU, d’un véritable plan d’urgence, comportant d’une part un collectif budgétaire dédié à l’annulation des suppressions de postes et à la résorption des sureffectifs des classes, et d’autre part des mesures nécessaires à l’amélioration du recrutement, de la formation initiale et des conditions des débuts de carrière – à commencer par le retour immédiat des décharges de service pour les stagiaires. La perte cumulée du pouvoir d’achat des enseignants exige un réel rattrapage par une revalorisation indiciaire suffisante, ainsi que par une refonte des grilles. Les dernières réformes, et surtout la dernière, la réforme du lycée, avec son corollaire, le dispositif parcoursup, ont produit de tels dégâts sur le climat scolaire et les conditions de travail qu’il en résulte une grave perte de sens, achevant de dégrader la valeur d’une profession déjà bien malmenée. Un véritable bilan et une remise à plat de ces réformes s’imposent.
Seules des mesures concrètes de ce type seraient à même de redonner à nos métiers l’attractivité qu’ils ont perdue ces dernières décennies, perte d’attractivité qui s’est brutalement aggravée ces dernières années.

Mais au lieu de cela, notre nouveau ministre semble reprendre à son compte les marottes de son prédécesseur - ainsi, il ressort du chapeau la fausse solution du remplacement en interne – qui ignore les contraintes du temps scolaire, ou le glissement des temps de formation sur les périodes de congés scolaires – qui fait à nouveau fond sur les antiennes du prof bashing le plus vulgaire. Avec sa notion de « pacte enseignant », il nous propose une pseudo revalorisation en forme de « bonus » conditionné à une augmentation de la charge de travail – accréditant là encore les contre-vérités sur les enseignants qui ne travailleraient pas assez. Monsieur le ministre apprend vite la notion « d’éléments de langage » ! Mais à d’autres, on nous l’a déjà faite !

Nos collègues ne tarderont donc pas à le comprendre : il ne suffit pas qu’un ministre s’en aille pour que la culture du mépris et de la gouvernance autoritaire qu’il a installée depuis cinq ans disparaissent par enchantement. Et elle est bien ancrée.
En témoignerait, entre autres, la manière dont cette session d’examens s’est déroulée : contrôles intrusifs de la notation des correcteurs en cours de correction, qui disent la vérité de la finalité du nouvel outil santorin, harmonisations de masse à coup de clics et sans consultation des correcteurs, par des commissions qui se substituent aux jurys souverains, au mépris des textes régissant leur fonctionnement. On ne saurait mieux faire comprendre aux collègues, dont la charge de travail a proprement explosé avec la nouvelle organisation de l’examen, le peu de cas que l’on fait de leur expertise certificatrice, du soin qu’ils ont à cœur de mettre dans leur travail d’évaluation des candidats – sans parler du peu de cas qui est fait des candidats eux-mêmes, lesquels ne sont pas dupes. Ainsi, on ne recule pas devant le sacrifice à moyen terme du crédit de l’examen pour sauver à court terme l’affichage d’une réussite factice de la réforme et la dissimulation des inégalités qu’elle aggrave.
Dans notre académie – elle n’est vraisemblablement pas la seule – on n’hésite pas à charger la barque des corvéables : convocations de professeurs de lettres parvenant le dimanche pour des corrections du DNB sur site le mardi, avec des paquets pouvant aller jusqu’à 50 copies et au-delà – s’agissait-il de ne pas faire d’envieux à cause du sort des professeurs de lettres correcteurs et examinateurs des EAF du baccalauréat ?
M. Ndiaye a déclaré vouloir s’atteler prioritairement au problème du respect des enseignants au sein de notre société. Eh bien qu’il commence par sa propre maison, elle en a grand besoin !

Parmi les éléments de la condition enseignante à repenser, il y a, nous l’avons dit, les conditions d’entrée dans le métier, notamment la situation des stagiaires, qui fait l’objet de cette CAPA.
Cette année, les stagiaires entrant dans le métier jouissent encore de conditions relativement favorables, puisqu’ils bénéficient d’une décharge de service substantielle en vue de suivre les formations nécessaires et de consacrer leur énergie à l’apprentissage de leur futur métier. L’an prochain, la règle sera le temps plein. Sans qu’il soit besoin de disserter sur les causes et les effets, on ne risque pas beaucoup à parier que dès l’an prochain, ce changement se fera sentir dans le nombre de propositions de renouvellement de stage. Est-ce réellement par de telles mesure d’inspiration comptable et à courte vue que l’on espère attirer vers l’enseignement les jeunes diplômés ?

Il est vrai que, pour en venir à l’objet de la présente CAPA, nous n’allons pas bouder notre plaisir cette année : trois propositions de renouvellement seulement ! Nous nous en félicitons et sommes admiratifs. Il faut se rendre à l’évidence : la qualité de la formation et du suivi a notablement progressé cette année, ou bien le niveau des lauréats a fait un bond inattendu – ou les deux… Nous n’aurons pas le mauvais esprit d’imaginer que la situation du recrutement pourrait y être pour quelque chose.
Les trois candidats dont nous examinons la situation aujourd’hui avaient tous déjà une expérience de l’enseignement, et sont tous certifiés titulaires. Chacun de ces trois cas est particulier. Ils posent cependant la même question, déjà maintes fois débattue dans le cadre de la CAPA, particulièrement l’an dernier, et que nous aurons à discuter sur pièce aujourd’hui, de ces collègues ayant fait leurs preuves comme enseignants certifiés, et qui se découvrent objets de reproches dirimants lors de leur réussite à l’agrégation. Ce paradoxe est particulièrement aigü dans le cas de l’un des dossiers soumis à notre examen, comme nous le montrerons.
En tout état de cause, ce serait là une pièce de plus à verser au dossier de conditions d’exercice et de carrière propres à dissuader les vocations potentielles.
Nous souhaitons pour terminer remercier Mme Wintzerith pour son accueil toujours cordial, ainsi que Mme Driai, qui a eu la gentillesse et la patience de nous accueillir dans son bureau lors de la consultation des dossiers.