Monsieur le ministre,

Des représentantes de nos organisations CGT Éduc’action, FSU, SUD éducation ont publié une tribune dans Le Monde sur les violences sexistes et sexuelles dans l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur et la recherche le 22 novembre 2019. Elles y dénonçaient les manquements des services de l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur et la recherche en matière de protection des victimes de violences sexuelles et sexistes et l’impunité qui en résulte.

D’après l’enquête du Défenseur des droits, 20 % des femmes actives déclarent avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle ; près de 30 % des victimes n’en parlent à personne. 40 % des femmes interrogées indiquent que lorsqu’elles ont dénoncé les faits, la résolution s’est opérée à leur détriment.

Le MEN emploie 814 500 femmes et 322 300 hommes.
Dans un ministère féminisé à plus de 68 %, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles doit être aussi une priorité.

La loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires garantit aux agent-es de la Fonction publique une protection contre les violences physiques et verbales dont ils et elles pourraient être victimes, ainsi que les situations de harcèlement sexuel ou moral. Son article 6 bis a été modifié pour inclure la notion d’agissements sexistes.

Lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail est une obligation légale du ministère employeur. L’employeur doit protéger les agent-es victimes de violences lorsqu’elles sont détectées sur le lieu de travail, et ce, y compris si elles sont extraprofessionnelles. Les violences conjugales sont d’ailleurs maintenant mentionnées explicitement dans l’accord égalité femmes hommes dans la Fonction publique.

Depuis la circulaire du 9 mars 2018, les ministères relevant de la Fonction publique sont tenus de mettre en place une politique de prévention et de protection des victimes de violences sexuelles et sexistes au travail.

Cette circulaire prévoit aussi un certain nombre de dispositifs d’accompagnement des victimes comme la mise en place de cellules d’écoute garantissant un accueil de qualité, la confidentialité, l’expertise et la rapidité. Or, nous avons constaté que ces cellules d’écoutes sont rarement mises en place. Lorsqu’elles le sont, elles ne répondent bien souvent pas aux exigences posées par la circulaire. Aucune formation
de qualité des personnels référents sur ces questions n’est organisée au sein de l’institution. Et aucun bilan n’a été présenté dans les rectorats aux instances administratives.

Des académies sont pilotes dans la mise en place de ce type de dispositifs. Qu’en est-il concrètement ? Quels indicateurs et évaluations avez-vous à nous transmettre pour analyser leur effectivité et proposer des perspectives d’actions ?

Nous observons que trop souvent les autorités académiques n’informent pas les personnels sur les possibilités de solliciter la protection fonctionnelle. Lorsque, accompagné-es par nos organisations syndicales, la protection fonctionnelle est accordée, les directions ne mettent en place aucune mesure de prévention ni de réparation, alors même que la loi les y contraint.
Cette protection fonctionnelle lorsqu’elle est obtenue se borne trop souvent à une assistance juridique a minima qui ne permet pas aux victimes d’être réellement protégées. Il s’agit pourtant d’un des enjeux cruciaux de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

Le ministère doit impérativement et urgemment traiter ces problématiques et endiguer ces phénomènes de violences qui existent au sein de l’institution.

Monsieur le Ministre, nos organisations syndicales vous interpellent : elles demandent l’application de la circulaire du 9 mars 2018 et réclament dans ce cadre des mesures supplémentaires de protections des victimes, notamment :

  • la mise en œuvre par les Ressources humaines de solutions de mobilité géographique en cas de situation exceptionnelle (et indépendamment de l’éloignement de l’agresseur), sur rapport de l’assistant-e social-e et avec l’accord des victimes.
  • l’octroi par l’administration de 10 jours d’autorisation spéciale d’absence fractionnables pour que les personnes victimes de violences puissent réaliser les démarches administratives et judiciaires requises.
  • l’action de l’administration sur la base des présomptions de discrimination qui découlent sur la base des faits rapportés par la victime comme le prévoit la loi 2008-496 du 4 mai 2008.
  • de véritables négociations et des moyens fléchés pour mettre en œuvre l’axe 5 de l’accord égalité professionnelle 2018 dans la Fonction publique.

Alors que les femmes sont les grandes perdantes de la réforme des retraites, qu’elles subissent les inégalités salariales et la plus grande part des emplois précaires souvent à temps partiel, le gouvernement doit cesser sa politique de précarisation des femmes et mettre en œuvre une politique ambitieuse de lutte contre les violences. Le ministère de l’Éducation nationale doit prendre ses responsabilités et décliner cette politique dans son secteur.

Benoît Teste, secrétaire général de la FSU
Patrick Désiré, secrétaire général de la CGT Éduc’action
Fatna Seghrouchni, cosecrétaire fédérale de SUD éducation

Lettre ouverte à jean-Michel Blanquer