13 janvier 2019

Actualités

Nous avons lu pour vous ! Revue de presse - janvier 2019

Une Ecole publique française à l’image de sa société : fracturée, inégalitaire, brutale envers sa jeunesse et tournée vers de faux débats.

Libération du 24 octobre 2018 : « L’Education nationale donne-t-elle vraiment plus aux élèves défavorisés ? »

Dans un article de la spécialiste des questions éducatives de Libération, Marie Piquemal revient sur la dernière étude du CNESCO portant sur 874 collèges d’Ile-de-France. Une étude « qui documente de manière fine les inégalités territoriales ». Le résultat le plus important de l’enquête, est que « les élèves des quartiers défavorisés ont beaucoup plus de chances d’avoir des profs contractuels pas formés ou avec peu d’expériences ».
Dans une longue introduction, elle rappelle combien les études manquaient sur l’impact du lieu de scolarisation : « les inégalités territoriales sont un champ peu exploré par la recherche scientifique ». A partir de ce constat, de nombreuses questions peuvent être posées « comment l’EN répartit-elle ses moyens sur le territoire ? Donne-t-elle les mêmes ressources aux petits Parisiens qu’aux élèves scolarisés dans le Val d’Oise ? Au sein d’un même département, comment sont distribuées les ressources entre les établissements dans les quartiers défavorisés et ceux dans les territoires aisés ? ».
Le CNESCO, que la nouvelle loi du ministre M. Blanquer veut faire disparaître (voir notre dernière revue de presse), a travaillé sur ces questions à l’aide de ses équipes de chercheurs qui ont ajusté leur étude à une toute petite échelle (les Iris, chaque Iris regroupe 2600 habitants). Grâce à cette mesure, l’étude montre qu’il y a trois fois plus de contractuels dans les territoires défavorisés que dans les beaux quartiers. Elle démontre aussi que les professeurs les moins âgés enseignent dans les territoires défavorisés : « 30% des professeurs de moins de 30 ans sont dans les territoires les plus en difficulté en Ile-de-France ». Dernier enseignement de l’enquête : en choisissant les résultats à l’examen final du DNB, le taux de réussite varie du simple au double « selon le type de territoires ».
Cette enquête est une belle réponse au ministère qui veut remplacer le CNESCO par un comité dont 4 membres sur 6 seraient nommés par le ministre. La fiabilité de cette enquête de deux ans dirigée par un géographe de renom Patrice CARO, montre à quel point il est urgent de rendre l’Ecole plus égalitaire, surtout géographiquement et de proposer de nouveaux programmes pour venir en aide aux enseignants de ces territoires comme le préconise la présidente du CNESCO Nathalie MONS (Le Monde du 24 octobre) : « cela nécessite de développer des programmes de mentorat ambitieux comme on le voit ailleurs (Ecosse, Singapour), qui permettent aux enseignants débutants d’être plus soutenus par leurs aînés, des formations continues plus développées adaptées aux élèves en difficulté, des programmes de fidélisation des contractuels. Il faut se donner les moyens de faire du sur-mesure pour ces territoires ».

Le Monde du 24 octobre : « Violences scolaires, les enseignants considèrent souvent qu’ils ne sont pas soutenus pas leur hiérarchie ».

Suite à un fait divers d’une violence inouïe survenu dans un lycée de Créteil, Le Monde propose l’interview de Benjamin Moignard sociologue et spécialiste des violences scolaires. Il est l’auteur avec Eric Debardieux et Kamel Hamchaoui d’une enquête de victimisation auprès de 18 000 enseignants du second degré, publiée en 2013.
Il rappelle que moins de 1% des enseignants sont touchés par des agressions physiques. En revanche, ce qui est plus ordinaire, ce sont les insultes. Elles touchent 30% des enseignants au cours d’une année.
Le chercheur souligne aussi que « les enseignants considèrent très souvent qu’ils ne sont pas soutenus par leur hiérarchie, toutes les enquêtes le montrent » et que « la question des sanctions est le prisme principal à partir duquel les enseignants mesurent la solidarité de leur hiérarchie et témoigne d’une difficulté forte ». Il a mesuré que c’est dans les établissements de l’Education Prioritaire que le risque de victimisation est le plus important. Mais cela est aussi accentué par le fait qu’il y a un fort turn-over des personnels dans ce type d’établissements et que le nombre de contractuels est fort élevé dans certaines zones.
Que faire ? Le chercheur insiste sur le fait que « punir à répétition est contre-productif et constitue un facteur déclenchant des phénomènes de violence ». De plus, « la France est l’un des pays qui sanctionne le plus et le plus sévèrement ». Il préconise de sortir des faux-semblants, des discours sécuritaires et incite « les équipes enseignantes à travailler dans des collectifs renforcés, très éloignés des logiques infantilisantes qui les isolent trop souvent ».

Le Café pédagogique du 24 octobre 2018, « Meirieu : l’heure de la riposte ».

Philippe Meirieu publie aux Editions Autrement, La riposte. Pour en finir avec le miroir aux alouettes. Interviewé par François Jarraud, il revient sur les idéologies qui dominent les médias et le débat scolaire aujourd’hui : la montée en charge d’une vision passéiste et autoritariste de l’éducation et la référence à l’Education nouvelle qui sévit dans les écoles privées hors-contrat. Fr. Jarraud l’interroge ensuite sur la troisième influence qui s’exerce sur l’Ecole, celle des neurosciences. Le chercheur répond sans ambiguïté : « Je crois que les sciences ne peuvent nullement dicter les pratiques, qu’elles soient pédagogiques ou politiques (...). Les neurosciences ne peuvent nous permettre d’évacuer la ‘passion d’enseigner’ et l’engagement personnel dans le métier, pas plus qu’elles peuvent nous exonérer de nous interroger sur nos priorités éducatives. »
Il est aussi interviewé sur sa critique de l’autonomie des établissements : « Je ne critique pas l’autonomie des établissements mais sa déclinaison libérale. » Selon lui, celle-ci va être renforcée avec la nouvelle version du bac général et l’offre à la carte. Pour lui, la plus mauvaise réforme viendrait du « pilotage par les preuves » car les preuves en éducation n’existent pas mais « ce qui existe ce sont des indicateurs qui permettent de se situer au regard des finalités que l’on vise ».
Quel serait alors, selon Meirieu, un « nouveau modèle pédagogique » qui permettrait de penser l’éducation d’aujourd’hui ? Il s’articulerait autour de trois pôles, le pôle des connaissances, le pôle des finalités et le pôle des institutions. Il devrait aussi construire la vie collective scolaire autour de valeurs et se donner des priorités claires. La première année du ministère Blanquer n’est pas là pour en témoigner : selon Philippe Meirieu, les réformes du ministre ont « un noyau idéologique parfaitement cohérent : celui d’une société libérale et individualiste où la réussite est réduite à la performance, où l’humain est réduit à la machine. »
Selon le chercheur, l’heure de la riposte est donc venue qui repose en priorité sur des questions essentielles : « qu’est-ce qu’un service public aujourd’hui qui prenne en compte les citoyens et non les usagers ? Qu’est-ce qu’une école qui transmette et émancipe à la fois ? Qu’est-ce que notre Ecole peut faire pour garantir l’avenir commun ? ».

Le Monde du 12 décembre 2018 : Thomas Schauder, « A qui sert le mouvement lycéen ? ».

Le meilleur article lu sur les révoltes lycéennes, bousculant tous les clichés véhiculés par la presse, vient d’un professeur de philosophie d’un lycée champenois, Thomas Schauder, paru dans Le Monde. Dans sa chronique, il analyse avec finesse l’action de ces lycéens qui ne sont pas seulement des élèves qui cherchent à sécher les cours. Il s’interroge : « Un lycéen peut-il être gréviste ? ». Il faut écouter ces jeunes, conseille l’enseignant car « il y a des lycéens et des étudiants très conscients de ce qu’ils font dans ce mouvement ».
La conscience titre ce professeur de philosophie, naît dans la pratique. Pour que les lycéens deviennent des citoyens, il leur faut passer par une éducation politique et celle-ci est en train de se réaliser dans les manifestions lycéennes. « Elle ne se fait plus verticalement par l’école, le parti ou le syndicat. Elle naît dans l’action en discutant avec d’autres grévistes, en réfléchissant aux désaccords et aux revendications ». L’auteur rappelle pour terminer que chaque militant a commencé ainsi. Il faut donc se réjouir « de voir des jeunes se mobiliser pour autre chose que pour consommer des gadgets inutiles ou acclamer d’éphémères starlettes ! ».

Ludmilla Fermé