Du 20 avril au 10 mai, le SNES-FSU académique a recueilli des témoignages de collègues sur le travail à distance. 131 collègues ont répondu, représentant 38 communes de l’académie (13 répondants n’ont pas renseigné cet item). Voir carte.
98 répondants (75,4%) sont syndiqués au SNES-FSU. 57,3% travaillent en collège.
Ces témoignages ne prétendent pas être représentatifs mais ils donnent des indications sur ce qu’a été le travail à distance pendant la période du confinement.
Nous rappelons également les questions posées dont la formulation a pu orienter certaines réponses.
(Enquête réalisée via framaforms)
La première partie de l’enquête portait sur les conditions matérielles du travail à distance.
a. Disposez-vous d’un matériel informatique toujours disponible pour votre activité professionnelle ?
Si vous disposez de matériel, jugez-vous ce matériel adapté à l’usage plus intense qui résulte du travail à distance (taille de l’écran, clavier, fonctionnalités, périphériques…) ?
b. Le débit de votre abonnement internet est-il suffisant pour votre activité professionnelle à distance ?
c. Avez-vous eu d’autres problèmes matériels ?
d. Avez-vous engagé de nouvelles dépenses personnelles pour réaliser ce travail à distance ?
e. Pouvez-vous travailler dans un espace dédié exclusivement à votre activité professionnelle ?
Si oui, cet espace est-il selon vous bien adapté ? Si non, pour quelle raison le trouvez-vous inadapté ? (exigu, mobilier, éclairage, autre…)
f. En journée, disposez-vous de plages de temps de travail au calme ininterrompues ?
Si près de 70% des répondants disposaient d’un matériel informatique toujours disponible pour leur activité professionnelle, adapté à l’usage plus intense résultant du travail à distance avec un débit internet suffisant (voir graphiques 1), 2/3 d’entre eux ont rencontré des problèmes matériels. Sont principalement cités le manque de matériel périphérique (essentiellement casque, micro et caméra pour les cours en visioconférence mais aussi imprimante et encre, ce qui les a obligés à de pénibles corrections sur écran) ou encore de logiciels avec lesquels les collègues travaillent habituellement. Pour près de 10% des collègues, ce sont des problèmes liés à un matériel vieillissant, non adapté à un usage intense, y compris en raison d’un écran trop petit. Pour 7% des collègues, sont évoquées des difficultés de connexion internet, trop lente, trop instable ou un accès difficile à MBN (en particulier les deux premières semaines) voire aux plateformes pour les classes virtuelles. Seuls 3 collègues ont parlé des problèmes de sécurité et d’apparition de virus. Pour faire face aux problèmes matériels, près de 30% des collègues ont engagé des dépenses supplémentaires, soit pour s’équiper (achat d’ordinateur, tablette, imprimante, webcam et micro), soit pour remplacer le consommable utilisé (papier, cartouches d’encre), soit, mais ce sont des réponses marginales, pour un supplément de forfait internet ou des livres et périodiques auparavant disponibles en bibliothèque. Il y a aussi des dépenses non quantifiables pour l’instant, notamment le surplus de consommation d’électricité. Dans tous les cas, les collègues ont travaillé avec leur propre matériel, ce qui exclut l’idée que nous soyons dans une situation de télétravail et justifie la demande du SNES-FSU d’une prime d’équipement.
Si 67% des répondants ont déclaré pouvoir travailler dans un espace dédié exclusivement à leur activité professionnelle, cet espace n’était pas toujours adapté au travail à distance, notamment en raison de son exiguïté (5 réponses) ou plus souvent d’un mobilier inadapté (11 réponses). Reviennent également les difficultés à disposer de plages horaires pour travailler au calme (voir graphiques 2).
Dans un 2e temps, les collègues étaient invités à s’exprimer sur les difficultés du travail à distance.
Concernant l’organisation du travail, le problème qui arrive en tête est l’augmentation de la charge de travail (28% des réponses) et notamment du temps passé devant écran. Cela s’explique d’une part par la nécessité pour les collègues de reprendre leurs cours pour les adapter au travail à distance ou de prévoir de nouvelles activités (23% des réponses). Explicitation des consignes devant permettre aux élèves de travailler en autonomie, recherche de documents accessibles à tous, adaptation de la quantité de travail, simplification des consignes ou plus grande précision pour compenser l’absence de cours dialogué, anticipation des questions et difficultés des élèves, définition des objectifs attendus de ce travail à distance mais aussi correction de travaux numériques (dont des photographies), réponses individualisées aux mails des élèves, appels aux familles, autoformation à de nouveaux outils ont considérablement alourdi la charge de travail de collègues, qui ont dû très vite s’adapter à une situation tout à fait nouvelle. Situation d’autant plus pénible que se sont ajoutés des problèmes matériels (10% des réponses) pour les enseignants mais aussi pour les élèves. Ainsi de nombreux élèves ne disposent pas d’un équipement suffisant (pas d’ordinateur ou ordinateur partagé par plusieurs personnes, connexion insuffisante….) ou ne savent pas utiliser les outils numériques avec, pour l’anecdote, des messages écrits dans la partie signature ou dans l’objet de mails… S’il est difficile d’évaluer la proportion d’élèves touchés par cette fracture numérique, dans un collège REP+ de Strasbourg, ce sont près de 40% des élèves qui n’ont pas d’ordinateur.
Au niveau de la relation avec les élèves et les familles, le problème de l’absence de retours voire du silence d’un nombre important d’élèves, supérieurs aux habituels absentéistes, est cité par 20% des réponses. La fréquence de cette réponse, la plus citée, laisse dubitatif sur les 5 à 8% de décrocheurs du fait du confinement évoqués par JM Blanquer, sauf à considérer que le lien avec les familles ait été le seul critère retenu, et non le travail rendu. Nul doute que le travail à distance a éloigné de nombreux élèves de l’école. La fracture numérique est l’explication la plus souvent évoquée. Viennent ensuite l’impossibilité de s’assurer, virtuellement, que les élèves ont bien compris et de les accompagner dans les apprentissages, le manque de motivation des élèves en l’absence de notes ou après l’annulation des épreuves terminales du bac et du DNB. Le poids des difficultés scolaires et du manque d’autonomie pour certains élèves, plus encore quand ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes s’est ajouté à un contexte familial parfois compliqué (parents malades, environnement bruyant, élèves qui doivent s’occuper de petits frères et sœurs…). A noter qu’un peu plus de 5% des réponses déplorent des mails désagréables de parents, notamment autour du trop / pas assez de travail.
Pour ce qui est des relations avec l’administration, un peu moins de la moitié des réponses (42 sur 87) évoquent des chefs d’établissement à l’écoute, qui soutiennent les collègues, prennent des nouvelles, maintiennent le lien entre les membres de la communauté éducative, par exemple en organisant des visioconférences mais sans ingérence dans le travail des collègues. A contrario, 45 réponses font état de difficultés : d’une part le manque de communication (peu ou pas de mails, sinon pour relayer les directives ministérielles ou rectorales, absence de réponse aux mails des collègues, pas d’information sur le suivi des élèves) ; d’autre part de la suspicion, de la méfiance voire de l’autoritarisme qui se traduit par des injonctions diverses (ainsi des demandes répétées d’appeler les familles) qui ont pesé en particulier sur les professeurs principaux.
Pour conclure cette partie, les collègues ont cité la difficulté la plus importante parmi toutes celles rencontrées dans le travail à distance (voir tableau 1)
La dernière partie de l’enquête a porté sur la façon dont les collègues se sont adaptés au travail à distance.
Un quart des réponses évoque la mise en place d’un suivi plus individualisé des élèves, à l’initiative de l’enseignant ou de l’établissement, par mail ou téléphone, avec parfois le soutien des CPE et / ou de l’administration. Près de la moitié des collègues ont aussi fait évoluer leur pratique pédagogique, notamment en allégeant le travail demandé (10 réponses) ou en utilisant de nouveaux outils numériques (19 réponses) comme les classes virtuelles ou Moodle, souvent au prix d’une augmentation de la charge de travail, qu’un quart des collègues a essayé de contenir en se fixant des temps de coupure, de déconnexion, voire un emploi du temps.
Les collègues ont aussi pu compter sur du soutien, avant tout celui d’autres collègues (54% des réponses), avant tout pour des échanges de documents, d’idées d’activités, de ressources, de pratiques. Sont en particulier cités les professeurs principaux, pour le suivi des élèves (6 réponses), les PRN et administrateurs ENT pour le soutien technique (5 réponses), les CPE (3 réponses) mais aussi le professeur documentaliste, le tuteur pour un enseignant stagiaire et une association disciplinaire (1 réponse pour chaque). L’administration (17 réponses) voire l’inspection (3 réponses) apparaissent également pour le suivi des élèves ou les réponses apportées à leurs difficultés sociales et matérielles, des consignes visant à harmoniser les pratiques, le soutien aux collègues. Le soutien moral est surtout venu de la famille et des amis (16% des réponses) voire des élèves et leurs parents (4% des réponses). Sont également cités, mais plus rarement, le syndicat (4 réponses) pour les informations sur les droits des personnels, la réactivité suite aux problèmes rencontrés avec la direction, les appels à la mesure ; le soutien en ligne (groupes Facebook, listes de diffusion, forums – 3 réponses), les éditeurs de manuels scolaires (2 réponses). 7% des réponses évoquent cependant l’absence de tout soutien.
L’adaptation aux conditions du travail à distance a eu un coût pour les enseignants et a notamment donné lieu à une explosion du temps de travail (2/3 des réponses), certains collègues l’ayant quantifié avec des journées de plus de 10 heures, des semaines de 50 à 60h, sans possibilité de faire une vraie coupure, le travail ayant envahi l’espace et le temps privés. 14 réponses évoquent ainsi l’impossible séparation entre vie privée et professionnelle, ou la difficile déconnexion, au sens propre puisque la sollicitation des élèves via l’outil numérique, plus encore quand ont été utilisées des plateformes comme Discord, se poursuit les soirs, week-ends et pendant les vacances mais aussi au sens figuré à travers la charge mentale. L’injonction qui nous a été faite de maintenir le lien avec les élèves a ainsi poussé nombre d’entre nous à aller bien au-delà du temps de travail habituel. Cette augmentation du temps de travail, plus encore quand il s’agit de travail devant écran, a eu des conséquences sur la santé des collègues pour près d’un tiers des réponses. Fatigue, troubles du sommeil, migraines, douleurs musculaires, fatigue visuelle reviennent ainsi dans près de 50 réponses et s’ajoutent au stress (10 réponses), y compris en raison du contexte sanitaire qui n’est pourtant cité que 3 fois. La perte de sens du métier est aussi forte : ainsi 22% des réponses évoquent un sentiment d’impuissance, d’inefficacité mais surtout de frustration. Le manque d’échanges directs avec les élèves, le décrochage d’un certain nombre d’entre eux l’expliquent en partie. Mais 17 réponses évoquent aussi la difficulté de définir des objectifs, une progression, la difficile adaptation à de nouveaux outils (5 réponses) et le manque de formation. Le sentiment de solitude ou d’isolement a également pu peser. Par contre, le manque de reconnaissance du travail fourni et la crainte que cette période ne serve de laboratoire à une transformation du métiers (cumul distanciel / présentiel, flexibilité, travail pendant les vacances) ont été peu cités (6 réponses) et surtout dans les témoignages les plus récents, ce qui peut s’expliquer par la date à laquelle l’enquête a été réalisée.
Dans ces conditions, les motifs de satisfaction ont surtout porté sur des aspects humains (50% des réponses), qu’il s’agisse du maintien du lien avec les élèves, d’un lien aussi plus personnalisé (16% des réponses), des remerciements et du soutien exprimés par les familles (19% des réponses) en lien avec une prise de conscience de la réalité du métier par les parents (5 réponses), de la solidarité entre collègues (6% des réponses) ou du temps passé avec son conjoint / ses enfants (5% des réponses). 39% des réponses expriment une satisfaction en lien avec le cœur du métier : découverte d’une autre façon de travailler (17% des réponses) et de nouveaux outils, notamment numériques ; implication des élèves dans le travail (15% des réponses) même si certains collègues soulignent que ce ne sont pas tous les élèves mais souvent les plus motivés et les plus autonomes. Par contre, une seule réponse mentionne le contentement d’avoir pu avancer dans le programme même plus lentement. 5% des réponses expriment aussi un soulagement, soit de ne plus être exposé au risque de contamination (4 réponses), soit de ne plus devoir gérer un groupe classe parfois difficile (3 réponses). Vient enfin le plaisir d’être dégagé des contraintes horaires, de pouvoir être maître de son temps, y compris pour approfondir la mise en œuvre des programmes (3% des réponses). A noter que pour 7% des réponses, il n’y a aucun motif de satisfaction dans cette période.