Une cuvée du Bac 2020 exceptionnelle ? C’est un tout cas la première fois que le baccalauréat a été décerné sur la seule base d’un contrôle continu amputé d’un bon tiers d’année scolaire. La pandémie de la Covid-19 a par dessus le marché annulé la (faible ?) dose d’examen final à l’ancienne. La publication par la presse des résultats du 1er groupe a suscité bon nombre de commentaires sur l’excellence de cette cuvée 2020. Une analyse de la répartition des mentions pour les sections générales (L, ES ,S) et technologiques (STI2D, STGMG, ST2S et STL) nuance cependant le diagnostic initial euphorique au niveau national et académique.
Une excellence à nuancer
Avec un taux final de réussite de 91,5% avant l’oral de rattrapage et de 95,9% après cet oral, le bac général dépasse de près de 7,2 points le résultat de la session 2019. Il en est de même pour le bac technologique qui passe de 88,1% de réussite en 2019 à 95,7% cette année et du bac professionnel (90,7% de réussite contre 82,3% en 2019). Ce qui fait qu’avec 86,6% de bacheliers pour la génération 2020, on a dépassé « l’objectif Chevènement » et frôlé les scores japonais ou coréen !
La progression du taux de mentions est encore plus spectaculaire : 63,5% de mentions contre 47% en 2019, soit une progression de plus de 15 points.
Tableau 1 : Répartition des mentions (Bac 2020, 1er groupe, Sections générales)
Remarque : ces chiffres sont établis à partir de la liste des admis du 1er groupe, c’est à dire à peu près 91 % de l’ensemble des candidats. Le taux réel des mentions doit être légèrement diminué si on calcule le pourcentage par rapport à l’ensemble des candidats.
La première nuance se situe au niveau départemental. Avec 73,3% de mentions pour l’ensemble des bacs généraux, le Haut-Rhin est distancé de près de 7,5 points par le Bas-Rhin. Les écarts entre les deux départements sont respectivement de 6,1 points pour le bac L, de 10 points pour le bac S et de 11,2 points pour le bac ES. On retrouve également des différences notables dans les différents centres d’examen. Pour des centres d’examen à la taille et au profil sociologique à peu près équivalent le pourcentage des mentions Très Bien peut varier du simple au double. Les exemples qui suivent excluent les gros centres d’examen (Strasbourg, Mulhouse et Colmar) qui sont composés de plus de 3 lycées publics et privés. Dans le Haut-Rhin on peut ainsi trouver pour le bac L un écart sensible entre Altkirch (37,5%) , Guebwiller (31,7%) et Thann (21%) . Pour le bac ES, les pourcentages de mentions TB varient entre Landser (29,5), Altkirch (27), Saint-Louis 26,9), Thann (8,9) et Guebwiller (7,3) . Pour le bac S, l’amplitude est un peu plus faible (de 32,3% pour Munster à 22,8% pour Ribeauvillé). On retrouve les mêmes contrastes dans le département du Bas-Rhin. Ainsi pour le bac L (à effectifs certes limités), le pourcentage des mentions TB varie de 42,9% pour Sarre-Union à 7,1% pour Molsheim. Pour le bac ES et S, la fourchette est un peu plus réduite puisqu’elle varie de 20,6% (Sélestat) à 8% (Haguenau) pour le bac ES et de 35,3% (Saverne) à 20,4% (Molsheim). Si la « politique des arrondis » a globalement profité à l’ensemble des candidats cette année, elle a été plus ou moins généreuse selon les centres d’examen. Il semblerait qu’ici ou là on aurait un peu abusé de l’EPO (« Evaluation Pour Oner » ou bien « Evaluation par obligeance »). Ces contrastes posent la question de la cohérence d’un baccalauréat s’appuyant sur la seule base du contrôle continu.
La situation est un peu différente pour les quatre principaux bacs technologiques : STMG (Sciences et technologies du management et de la gestion), STI2D (Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable), ST2S (Sciences et technologies de la santé et du social) et STL (Sciences et technologies de laboratoire).
Tableau 2 : Répartition des mentions (Bac 2020, 1er groupe, sections technologiques)
L’écart du pourcentage des mentions avec les bacs généraux est de 13,6 points (62,8 contre 76,3). Les écarts sont particulièrement sensibles pour les mentions TB (6,8% contre 27,6). Par contre pour les mentions AB l’écart est inverse : 36,1 pour les sections technologiques contre 29% pour les sections générales. La politique des jurys des bacs technologiques a été plus dans le sillage des exercices précédents.
Si le millésime 2020 entre dans la catégorie de l’exceptionnel, il n’efface pas pour autant les disparités socio-spatiales de notre académie.
Des disparités socio-spatiales persistantes
Nous avions en 2010 déjà pointé les différenciations entre les différents lycées alsaciens en s’appuyant sur différentes données concernant les catégories sociales des parents (en particulier le pourcentage des catégories socio-professionnelles défavorisées) et les politiques scolaires locales (orientation vers les sections professionnelles, valeurs ajoutées pour le baccalauréat notamment). En reprenant le critère des Professions et Catégories Socio-professionnelles (PCS) défavorisées on peut distinguer en gros 3 catégories : les lycées où les PCS défavorisées sont inférieures à 30%, les lycées où les PCS défavorisées sont comprises entre 30 et 60% et celle où ces catégories dépassent les 60%. La presse quant à elle s’est contentée de publier le classement des 57 lycées alsaciens en combinant le pourcentage des reçus et celui des mentions. Ce classement commence et se termine par deux lycées strasbourgeois : à la tête se trouve le lycée privé du Gymnase Sturm (100% de réussite et 93 % de mentions) et en queue de peloton le lycée Cassin (80% de reçus et 30% de mentions). Faut-il rappeler que le premier est un lycée à recrutement très ciblé (presque exclusivement des PCS très favorisées) et le dernier le lycée « tertiaire » de la ville de Strasbourg recrutant essentiellement dans les quartiers défavorisés strasbourgeois. Entre ces deux extrêmes on peut dresser une typologie. Dans la 1re catégorie (celle des PCS défavorisées inférieures à 30%) on trouve une trentaine de lycées soit à peu près 60% des lycées alsaciens. Les pourcentages de réussite sont supérieurs à 94% et celui des mentions supérieur à 56%. On y trouve la quasi totalité des lycées privés (8 lycées à l’exception de Ste-Clotilde/Strasbourg), la presque totalité des lycées des communes du piémont viticole (Thann, Guebwiller, Ribeauvillé, Barr, Obernai, Saverne notamment) ainsi que les lycées des régions frontalières haut-rhinoises (Altkirch, Saint-Louis) ou bas-rhinoises (Wissembourg) ainsi qu’un certain nombre de lycées des centres-ville colmarien (Bartholdi, C.Sée) et strasbourgeois (Kléber, Fustel). A l’autre extrême se trouve la catégorie des lycées aux PCS défavorisées approchant ou dépassant les 60%. On y trouve une dizaine de lycées qui se trouvent essentiellement dans les deux principales agglomérations alsaciennes. Dans l’agglomération strasbourgeoise ce sont à côté du lycée Cassin, le lycée Monnet et éventuellement les lycées Rudloff, Pasteur et Rostand. Mais c’est l’agglomération mulhousienne qui cumule les difficultés sociales (avec notamment les problèmes de reconversion des anciens bassins industriels) et voit ses lycées se situer dans la queue de peloton (moins de 91 % de réussite et moins de 45 % de mentions).
La politique scolaire académique devrait en priorité consacrer tous ses efforts pour sortir ces lycées de ce véritable « ghetto socio-culturel ». C’était tout le contraire qui a été pratiqué entre 2007 et 2012 avec la sinistre politique de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) de l’ère Sarkozy (plus d’un millier de suppressions de postes dans l’académie et plus de 100 dans l’agglomération mulhousienne)…