L’accident majeur survenu à Rouen dans la nuit du 25 au 26 septembre à l’usine Lubrizol a montré la vulnérabilité des zones urbaines aux catastrophes industrielles. Pire, il a montré aussi l’impréparation du ministère de l’éducation nationale, des rectorats et des DSDEN à ce type d’accident. Qu’en est-il en Alsace qui connaît une forte concentration d’industries potentiellement très polluantes ?
Depuis l’accident industriel de Seveso, survenu près de Milan en 1976 et qui avait conduit à des centaines d’hospitalisations et tué des milliers d’animaux, une norme européenne, créée en 1982, répertorie les sites industriels dits « Seveso » car ils présentent un risque important de pollution environnante en cas d’accident : il y en a plus de 1300 en France et 45 en Alsace. Ces sites sont classés en deux catégories : « seuil haut » et « seuil bas », selon leur dangerosité. Dans l’académie de Strasbourg, 30 établissements sont classés dans la catégorie « seuil haut », sur les communes de Lauterbourg, Drusenheim, Strasbourg, La Wantzenau, Reichstett, Herrlisheim, Rohrwiller, Molsheim, Biesheim, Thann, Vieux Thann, Chalampe, Ottmarsheim, Illzach, Altkirch, Hombourg, Cernay et Village Neuf (carte à consulter ici : http://www.industrie-environnement-alsace.fr/risques-industriels/seveso-alsace-sh-092013.pdf).
C’est à cette catégorie qu’appartenait l’usine AZF de Toulouse, dont l’explosion, en septembre 2001, a fait 31 morts et 2500 blessés, et l’usine Lubrizol de Rouen qui a fait tout récemment la « une » de l’actualité. Si l’on considère, comme les spécialistes, que la pollution engendrée par une explosion ou un incendie peut s’étendre à un rayon de plus de 20 km autour de l’usine, on comprend vite que la très grande majorité des établissements scolaires d’Alsace est exposée au risque d’accident industriel.
Qu’a prévu l’institution en cas d’accident ? Regardons ce qu’il s’est passé à Rouen le 26 septembre. Un arrêté préfectoral a ordonné la fermeture des établissements scolaires de 12 communes autour du lieu de la catastrophe. Mais l’arrêté était trop restrictif et certaines communes qui subissaient directement la pollution et se trouvaient sous l’immense nuage de pollution, confrontées à des retombées de suie, ont dû « improviser » : dans ces communes les directeurs d’école et chefs d’établissement ont été laissés complètement seuls par le rectorat et la DSDEN. Ils ont dû endosser la responsabilité de fermer leur établissement sans savoir si leur hiérarchie l’approuverait, ce que bien entendu peu ont fait immédiatement. Le principe de précaution a donc été apprécié diversement par chaque acteur, des parents d’élève pouvant se retrouver dans une situation où l’un de leurs enfants était renvoyé à la maison, alors que 200 mètres plus loin un autre de leurs enfants était accueilli par son établissement comme si rien ne s’était passé. 36 heures après la catastrophe, aucun parent ni personnel n’avait reçu du ministère de l’éducation nationale d’information sur la situation. Le vendredi 27 septembre, le ministre s’est rendu sur place et a affirmé qu’il n’y avait aucun danger, que les écoles rouvriraient toutes le lundi suivant, sans préciser qui les décontaminerait ni comment. Il semble qu’on ait simplement demandé aux agents de service de procéder à un ménage complet, sans se soucier de la toxicité éventuelle des coulées de suie qu’ils ont en charge de faire disparaître. La FSU de Seine-Maritime a dénoncé à ce sujet un « silence assourdissant » du ministre et de la rectrice.
Et si cela arrivait en Alsace ? Sur le papier la prévention paraît à peu près satisfaisante : arrêté préfectoral de fermeture des établissements publics en cas de dangerosité établie, directeurs d’écoles et chefs d’établissement prévenus par SMS, confinement si besoin avec application du PPMS. Encore que la sirène d’alerte, faute d’éducation aux risques, sera sans doute mal comprise de la population et donc des parents : il y a fort à parier que ce sont plutôt les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu, avec toute la rigueur journalistique qu’on leur connaît, qui donneront l’alerte et qui conduiront à des situations de panique en cas d’accident. De plus, la chaîne de transmission des informations est dans ce cas bien incertaine : la traque par la police du responsable de l’attentat du 11 décembre 2018 à Strasbourg a assez montré de quelle manière les chefs d’établissement étaient laissés sans informations ni consignes : rappelons que le lycée Couffignal a alors connu l’évacuation de ses élèves alors que le terroriste se trouvait dans le quartier et que c’est au contraire le confinement qui aurait dû être organisé. Bien souvent, les exercices d’entraînement au confinement ou à l’évacuation ne sont pas sérieusement effectués dans les établissements scolaires et on peut craindre qu’en cas de réel danger, et à supposer que la bonne décision soit prise, tout ne se déroule pas comme prévu. Par exemple, combien d’établissements du second degré seraient-ils capables de protéger leurs grandes fenêtres avec des rouleaux de film adhérent en cas d’émanations de gaz ou de fumées toxiques ? Enfin, comment mesurer la dangerosité de fumées ou de gaz si l’on n’est pas soi-même un expert ? La principe de précaution devrait alors prévaloir mais il se heurte trop souvent au manque d’initiative locale et à la peur de sanctions de la hiérarchie.
Les CHSCT plaident pour que les chefs d’établissement et les directeurs d’école soient mieux formés aux risques majeurs, pour que les liens préfecture et protection civile/ rectorat et DSDEN/ chefs d’établissements, IEN et directeurs d’école soient fluides et que des consignes claires soient rapidement transmises en cas d’accident.