Une curieuse année scolaire s’est terminée, pour les personnels de l’Éducation nationale, dans la lassitude et la colère.
Lassitude des 856 visioconférences, 1458 mails, 487 appels téléphoniques aux parents, de la refonte de toutes les préparations pour les adapter au format exclusivement numérique. Lassitude des 56 pages du premier protocole qu’il a fallu appliquer en toute hâte, sans souvent pouvoir disposer d’un temps de réflexion et de concertation avec les équipes. Lassitude des heures passées devant l’écran d’un ordinateur, sans aucune prévention des troubles musculo-squelettiques ni des troubles oculaires. Lassitude d’un travail souvent perçu comme sans fin durant la fermeture des écoles et des EPLE, et qui pourtant s’avéra immédiatement peu efficace.
Colère face aux improvisations et injonctions contradictoires du ministre qui n’a nullement dialogué avec les personnels mais a préféré les matinales d’information et les journaux télévisés du soir pour les informer ou donner des instructions parfois inapplicables, souvent démagogiques.
Car les modalités-mêmes de la prise de décision interrogent sur le caractère démocratique de nos institutions : au lieu d’en discuter les dates, les conditions et le cadre avec les organisations syndicales, le gouvernement a laissé la main à un homme seul, certes élu, mais peu au fait des contingences scolaires, sans aucune expérience de terrain, qui a décidé, à l’abri des salons lambrissés de l’Élysée, de la reprise de douze millions d’élèves et d’un million de personnels de l’éducation nationale.
Colère face aux conditions de la reprise qui s’est annoncée d’entrée comme ayant pour seule ambition de « remettre la France au travail » et de libérer les parents de la garde de leurs enfants, sans qu’aucune considération de nature pédagogique ou éducative n’intervienne : ainsi les personnels ont bien compris qu’il s’agissait de mettre en place une garderie nationale, sans apprentissages, et même dans un premier temps sans aucune obligation scolaire.
Les personnels de direction, que l’on incite pourtant trop souvent à une soumission qui prend le faux nom de loyauté, ont eux-mêmes brisé l’omerta en affirmant publiquement :
« La profession est aujourd’hui dans un état de fatigue, de démotivation, d’exaspération voire de colère rarement sinon jamais atteint »
Était-ce un furieux syndicaliste de la FSU qui s’exprimait ainsi fin juin ? Non, c’était Philippe Vincent, secrétaire général du SNPDEN, que l’on n’a pas l’habitude de voir cité dans les déclarations liminaires de la FSU.
Puis l’été est venu. On ne doutait pas que ces deux mois seraient l’objet d’un travail fructueux du ministère pour préparer une rentrée sous le signe d’une crise sanitaire que l’on ne pourrait plus décemment qualifier d’inédite. Le protocole ancien pouvait être amélioré, au regard de l’expérience de la reprise de mai-juin et des dernières avancées scientifiques. Pour rendre possible la distanciation, on pouvait espérer des réquisitions de locaux comme cela a été le cas dans plusieurs pays scandinaves ou des recrutements massifs comme en Italie et dans la région madrilène. On pouvait aussi penser que des informations seraient rapidement données aux personnels vulnérables sur leur statut. Mais l’on était sans doute de doux rêveurs… Quand la rentrée fut venue, le ministre se trouva fort dépourvu… Un protocole de 56 pages réduit à 6, une communication confuse sur le port du masque par les enseignants : obligatoire, pas obligatoire, puis finalement obligatoire, sans bien mesurer les conséquences de l’obligation. Des personnels vulnérables ou cohabitant avec des personnes fragiles remis au travail en présentiel sans ménagement. Plus aucune distanciation entre élèves, masques obligatoires et à la charge des familles au-delà de 11 ans, circulez ! Les décisions apparaissent clairement motivées par les contraintes financières et non par les études scientifiques ou une réflexion pédagogique. Et, une fois de plus, des décisions prises au dernier moment, communiquées dans l’urgence aux chefs d’établissement et aux directeurs d’école entre le 26 et le 28 août...
La crise sanitaire n’aura fait qu’accentuer ce que souligne sans le révéler une enquête récente sur la confiance des enseignants. Enquête menée par un collectif comportant une vingtaine de députés LREM, que l’on ne soupçonnera pas de bolchévisme… Menée auprès de plus de 22 000 enseignants du premier et du second degrés, elle montre que 86 % des enseignants n’ont plus confiance en l’institution et que 72 % estiment que leur hiérarchie ne leur fait pas confiance. La satisfaction au travail des enseignants est de 30 %, un chiffre très inférieur à la plupart des autres professions. Si cette enquête n’a été menée qu’auprès des personnels enseignants, nous ne doutons pas qu’elle aurait donné les mêmes résultats, voire des résultats plus catastrophiques encore si elle avait été menée auprès des personnels administratifs ou de vie scolaire. Nous n’avons cessé de dénoncer ici, particulièrement auprès de M. le DRH, le grand malaise des personnels de l’Éducation nationale. Cette enquête objective ce qui nous était souvent renvoyé comme un « sentiment ». Cette réalité, d’un Ministère qui va mal, de personnels qui souffrent, il faudra aussi s’en emparer au sein de cette instance et aborder sereinement la question, trop souvent occultée, des rapports hiérarchiques dans l’Éducation nationale.