Loin derrière l’image véhiculée d’une Alsace unique et cossue, le tableau des indicateurs de position sociale (IPS) permet de pointer les énormes fractures au sein de l’académie de Strasbourg. Les indicateurs retenus par la DEPP (Direction de l’Evaluation de la Prospective et de la Performance) de l’Education Nationale attribuent à chaque élève une note en fonction de la catégorie socioprofessionnelle des parents ainsi que de leurs pratiques culturelles. La moyenne des notes de tous les élèves d’un collège (ou d’un lycée) établit le niveau social de celui-ci . On peut aussi compléter cet indicateur par un indicateur fiscal retenant pour les quelques 950 communes alsaciennes le pourcentage des ménages assujettis à l’impôt sur le revenu et le montant moyen de cet impôt revenu par ménage imposé. La DEPP classe les établissements en 1er cycle (de la 6e à la 3e), en 2d cycle général et technologique et en 2d cycle professionnel (de la seconde à la terminale professionnelle).
L’échelonnement de ces IPS par collège va de 143,1 (Gymnase Sturm/Strasbourg) à 63,7 (collège Solignac/Strasbourg). Dans le tableau ci-dessus les collèges ont été classés par ordre décroissant en trois catégories : les « favorisés » (IPS de 143 à 115), les « moyens » (IPS de 114 à 90) et les « défavorisés » (IPS de 89 à 63). Sur les 168 collèges répertoriés sur le tableau, 146 sont des collèges publics (soit 86,9%) et 24 des collèges privés sous contrat (soit 13,1%).
Les collèges « favorisés » : le poids du privé ...et de l’argent
Ce sont 45 collèges (soit 26,8 % de l’ensemble des collèges) qui peuvent être classés dans cette catégorie. Ce qui ressort immédiatement, c’est la surreprésentation des collèges privés. Ils sont ainsi 8 dans les 10 premiers collèges et 20 dans la catégorie des « favorisés ». L’écrasante majorité des collèges privés (20 sur 24) accueille ainsi les publics les plus favorisés. Ces collèges privés sont situés pour leur plus grande partie au coeur des trois principales villes ou dans la périphérie aisée pour l’agglomération mulhousienne (Riedisheim, Zillisheim, Landser ou Issenheim), assurant ainsi dans un entre-soi bien protégé, la reproduction sociale des « élites ».
Les 25 collèges publics de cette 1re catégorie des « favorisés » appartiennent à 4 catégories bien précises ; la 1re correspond au coeur le plus riche (plus de 5400 euros de revenu mensuel par personne) de la ville de Strasbourg (le collège Foch et l’Ecole Européenne) dans les quartiers de l’Orangerie et le Quartier des XV. Le 2e espace favorisé correspond aux territoires agricoles riches du Kochersberg élargi (collèges de Pfulgriesheim, Truchtersheim, Brumath et Hoerdt) et d’une partie de la grande couronne strasbourgeoise (collèges de La Wantzenau, Achenheim, Vendenheim, Herrlisheim et Eschau). La 3e catégorie est celle du piémont viticole bas-rhinois (Obernai, Rosheim, Dambach, Châtenois). La 4e catégorie correspond à la partie française de l’agglomération tri-nationale bâloise avec les communes de Hégenheim (75 % des ménages imposés sur le revenu et 10 344 euros par ménage imposé) et de Sierentz (70 % des ménages imposés et 6815 euros par ménage imposé).
Cette avant-garde favorisée précède le gros du peloton des collèges estampillés « moyens ».
Le gros peloton des collèges à profil « moyen »
C’est la catégorie la plus nombreuse et la plus composite avec 89 collèges (soit 53 % de l’ensemble des collèges de l’académie). Ici par contre ce sont les 85 collèges publics qui forment l’essentiel. Les 4 derniers collèges privés (JeanXXIII/Mulhouse, St-André/Colmar, St-Joseph/Matzenheim et Ste-Marie/Ribeauvillé) ne représentent que 16,7 % de l’ensemble des collèges privés sous contrat.
Dans ce peloton des collèges « moyens », le coeur de cette nébuleuse est représenté par un bloc massif de 59 collèges (IPS compris entre 110 et 100) encadré par une tête d’une quinzaine de collèges et une queue de 24 autres collèges qui font la transition avec la catégorie des collèges « défavorisés ». Cette hétérogénéité s’explique en partie par la variété des « pays » composant l’Alsace. Il s’agit notamment du reste du piémont viticole (Marmoutier, Ribeauvillé), de la plupart des montagnes et vallées vosgiennes (vallée de la Doller avec Masevaux, vallée de la Thur avec St-Amarin,vallée de la Lauch avec Buhl, vallée de la Fecht avec Munster, vallée de la Weiss avec Orbey, vallée de la Bruche avec La Broque)., des marges septentrionales alsaciennes (Outre-Forêt et Alsace bossue) ainsi que d’un liseré d’une dizaine de collèges du front rhéann et de ses Rieds (Ottmarsheim, Fessenheim, Volgelsheim pour le Haut-Rhin, Marckolsheim, Sundhouse, Rhinau, Gerstheim, Drusenheim, Soufflenheim, Seltz et Lauterbourg pour le Bas-Rhin).
Autant les collèges « moyens » se répartissent sur l’ensemble de l’espace alsacien, autant les collèges « défavorisés » sont situés dans de véritables « îlots de réclusion sociale ».
Les collèges « défavorisés », des îlots de réclusion
Les collèges « défavorisés » (IPS entre 89 et 63) sont 32 (soit 19 % du total des collèges). Parmi ceux-ci on peut recenser 15 collèges « très défavorisés » (avec un IPS inférieur à 75). Ils sont surtout situés dans les quartiers les plus déshérités des trois principales villes alsaciennes. Sur la quinzaine de collèges de la ville de Strasbourg, 7 collèges (Solignac, F.Truffaut, Sophie Germain, Lezay-Marnésia, Stockfeld, H.Arp et Erasme) ont des IUPS inférieurs à 75. Ils sont situés dans les îlots les plus pauvres (moins de 441 euros de revenu mensuel par personne) comme les IRIS (Ilot Regroupé pour l’Information Statistique) du Neuhof (Schulmeister, Marschallhof, Hautefort), de l’Elsau, de la Montagne Verte et d’une partie de Hautepierre. Ces îlots se caractérisent souvent par une succession de grands ensembles bâtis dans les années 1960-1970 qui concentrent les populations les plus précarisées. Le cas mulhousien est encore plus préoccupant. A l’exception du collège Bel Air, tous les autres collèges publics mulhousiens ont des IPS inférieurs à 75. Le contraste entre les collèges privés et publics est saisissant et correspond à la différenciation des quartiers mulhousiens. Les collèges privés Jeanne d’Arc, Ste-Ursule et à un degré moindre JeanXXIII sont situés dans les quartiers les plus huppés de Mulhouse (colline du Rebberg, Nouveau Bassin, Vieux Dornach). En revanche les zones de recrutement des 6 collèges les plus défavorisés (Wolf, Jean Macé, Villon, St-Exupéry, Bourtzwiller et même Kennedy) correspondent soit aux anciens quartiers ouvriers rassemblant bon nombre de friches industrielles (en voie de reconversion ou de réhabilitation pour certains) soit aux nouveaux quartiers des Coteaux qui concentrent beaucoup de barres blanches prématurément vieillies remontant aux années 1960-1970. La préfecture colmarienne connaît le même contraste entre le Colmar aisé des quartiers pittoresques du centre et de la ceinture pavillonnaire méridionale où sont situés les trois collèges privés (Assomption, St-Jean et St-André) et le Colmar plus défavorisé des quartiers occidentaux de la ZUP (collège Molière) ou du Colmar plus populaire à l’ouest de la voie ferrée (collège Pfeffel). La ville de Haguenau offre le même contraste entre ses deux collèges privés ( Ste-Philomène et Missions) et un collège public défavorisé (Kléber). Reste le cas plus insolite de la région des Trois Frontières où les trois collèges du centre ludovicien et huninguois (Forlen, Schickelé et G.de Nerval) s’opposent plus ou moins aux trois collèges de la ceinture résidentielle très aisée comme le montre le tableau ci-dessous :
Commune | Population (2017) en nombre d’habitants | % de ménages imposés sur le revenu | Montant moyen de l’impôt sur le revenu (en euros) |
---|---|---|---|
Saint-Louis | 20 550 | 57,2 | 5304 |
Huningue | 7 144 | 60,7 | 6675 |
Blotzheim | 4 576 | 73,1 | 7263 |
Hegenheim | 3 495 | 75,4 | 10 344 |
Il est vrai que les villes de Saint-Louis et de Huningue ont accueilli de nouvelles vagues d’immigration en provenance en particulier des pays de l’Europe de l’est et de Turquie.
Tous ces cas montrent l’extraordinaire complexité de ces mosaïques urbaines que les différentes politiques de la ville peinent à réduire des inégalités quasiment structurelles.
Accéder à la carte des collèges en fonction de l’IPS (juin 2023) : https://strasbourg.snes.edu/Carte-des-colleges-selon-l-IPS.html