24 février 2019

Sections départementales

Nous avons lu pour vous ! Revue de presse - février 2019

Aux grands maux, les grands mots !

HONTE SOCIALE

On lira tout d’abord avec intérêt une interview du sociologue et philosophe Didier Eribon (Le Monde du 11 janvier), interview intéressante à double titre : tout d’abord le chercheur rappelle ce qu’est « un transfuge de classe » : ce sont des jeunes qui réussissent à changer de milieu social grâce à leurs études. Didier Eribon en est l’exemple-type et il a raconté son parcours dans Retour à Reims (Fayard, 2009). Dix ans après sa publication, il reçoit encore des témoignages de ces transfuges. Pour le chercheur, ils illustrent les failles de notre système éducatif et la fausseté de la méritocratie.
C’est là l’autre intérêt de cette mise au point « si la critique de la méritocratie semble évidente, elle est pourtant reproduite par beaucoup de discours », par un discours conservateur « qui ne prend pas en considération la question fondamentale du capital culturel, c’est-à-dire des conditions sociales inégalitaires d’accès au système scolaire et à l’enseignement  ».
Finalement, selon lui, on demeure lié à son origine sociale : «  la démocratisation a conduit à un renforcement des filières d’élite comme des lieux fermés dont seulement les enfants des classes privilégiées peuvent bénéficier. Si on veut faire changer le système, il faut faire éclater ça ».

COLERES

On pourra ensuite se référer à la nouvelle forme de contestation des stylos rouges et son analyse dans la presse : des étudiants journalistes de l’ESJ de Lille analysent le mouvement sur le blog M du 12 janvier. Ils sont allés couvrir le rassemblement bien maigre devant le rectorat de Lille. « Autocollants des stylos rouges sur la poitrine, ces enseignants demandent une augmentation de leur rémunération, via le dégel du point d’indice  ». Les apprentis journalistes rappellent ensuite les paroles de notre ministre (« Le point d’indice n’est pas l’alpha et l’oméga du pouvoir d’achat ») et interviewent des professeurs des écoles et des certifiés participant à la manifestation. « Les collègues ne veulent pas de rémunérations au mérite et d’heures supplémentaires qui ne concernent qu’une poignée d’enseignants », rappelle Francette Popineau de la FSU. Les manifestants, finalement, n’ont pas été reçus au rectorat de Lille et ont demandé aux organisations syndicales de les soutenir. Le Snes a répondu à leur demande et a déjà mis en avant, un plan d’action incluant de nouvelles rencontres et des initiatives communes.
Violaine Morin, spécialiste Education du Monde (du 9 janvier), tente d’analyser le profil de cet « enseignant stylo rouge » : « leurs profils sont aussi divers que le corps enseignant lui-même : des professeurs du premier et du second degré, mais aussi des CPE et des psychologues, des syndiqués, des non-syndiqués, de jeunes profs, d’autres plus anciens. » Les mêmes revendications que dans d’autres articles, sont soulignées : « ils veulent voir leur pouvoir d’achat augmenter et demandent le dégel du point d’indice, la revalorisation à hauteur du diplôme  ». La journaliste insiste sur le rôle des syndicats : « D’autres ont conscience de la difficulté de se passer des syndicats, qui constituent un relais essentiel avec l’institution et structurent fortement la profession  ».
Dans l’Académie de Créteil, rapporte Marlène Thomas de Libération (10 janvier), les stylos rouges se sont faits gazer et repousser par des CRS ; ils désiraient interpeller le Président près de la nouvelle Maison du handball qu’il devait inaugurer. Là-aussi, la multitude de profils est soulignée par la journaliste même si ces enseignants sont réunis pour la même cause : « Revendiquer de meilleures conditions de travail pour les profs comme pour les élèves et faire apparaître la réalité de leur métier aux yeux du public. » Suite à une AG, une multiplicité des actions a été choisie dans l’Académie de Créteil, avec une consigne non votée : « envoyer des stylos rouges au président. Un moyen (un peu plus sûr ?) de l’approcher ».

ABANDON

Six syndicats, note Libération du 16 janvier, réclament l’abandon des évaluations de CP alors que la deuxième salve va commencer. Quelles en sont les raisons ? Francette Popineau secrétaire générale du SNUIPP-FSU, explique qu’elles ne servent à rien et que si le ministre ne les abandonne pas, « nous invitons les enseignants à ne pas les faire passer ». C’est la « lecture qui cristallise les plus vives des inquiétudes » écrit la journaliste de Libération, Marlène Thomas. En effet, les tests sont seulement basés sur du déchiffrement et non sur la compréhension et l’interprétation des textes, essentielle on le sait, pour l’entrée au collège. De plus, explique Mme Popineau, ce système d’évaluation a tendance à avoir « un effet anxiogène sur les élèves ». « Pour les syndicats, il n’y a pas de doute, le ministre met donc en place ces évaluations pour asseoir et valider sa politique  » écrit la journaliste qui rappelle que « malgré ces protestations, le ministre entend garder le cap et a balayé d’un revers de la main la possibilité d’abandonner les évaluations ».

FAIRE BLOC

Dans un long article de Libération daté du 16 janvier, Bala Fofana nous explique pourquoi sept universités (Clermont, Aix-Marseille, Toulouse, Lyon II, Nanterre, Renne II et Angers) font bloc et refusent de multiplier par quinze les frais d’inscription pour les étudiants étrangers. « Nous demandons un retrait de la hausse des frais d’inscription et la mise en place d’une réflexion sur l’accueil des étudiants étrangers.  » détaille Nadia Dupont, la chargée de mission formation à l’université de Rennes II. Les universités désirent mettre en place une stratégie commune contre cette hausse, écrit le journaliste et relève que certaines universités peuvent utiliser le décret du 19 août 2013 qui stipule que les établissements peuvent exonérer des frais d’inscription certains de leurs étudiants « dans la limite de 10% du total des élèves inscrits ». La ministre, quant à elle, conclut le journaliste, «  insiste sur le devoir d’obéissance et le devoir de loyauté de tout fonctionnaire ».

L’ECOLE DE LA DEFIANCE

Libération (Marie Piquemal du 10 février) nous rappelle que le projet de loi sur « l’Ecole de la confiance » est discuté le 11 février avec plus de 1000 amendements. La journaliste souligne le caractère fourre-tout de cette loi qui « agrège de façon hétéroclite d’autres mesures, du prérecrutement des enseignants au recours (encouragé) aux expérimentations pédagogiques. Plusieurs suscitent de l’inquiétude  ».
Deux écueils sont devant le ministre, écrit Mme Piquemal : «  A commencer par les profs de lycée, qui découvrent la mise en place concrète de la réforme du bac adoptée l’an dernier et la complète réorganisation des enseignements qui l’accompagne. Ecueil supplémentaire pour le ministre, la colère ne vient pas que des syndicats d’enseignants, faciles à caricaturer. Cette fois, la défiance vient de la base : des profs de terrain, pas forcément militants dans l’âme, pas forcément affiliés à un syndicat, qui s’activent dans des endroits peu habitués à la lutte. » « L’Ecole de la confiance » s’est transformée en Ecole de la Défiance, souligne dans cette première partie la journaliste.
« Cette nouvelle forme de mobilisation pourra-t-elle déstabiliser les projets du ministre ? », interroge la journaliste. « Une certitude en revanche : ce mouvement de colère contrarie la volonté affichée du ministre de rétablir un climat de confiance avec les enseignants. Le projet de loi examiné ce lundi ne va pas aider  ».
Selon la journaliste, trois points font « tiquer » les enseignants : la scolarisation des 3 ans, le devenir du Cnesco et l’article 1 de la loi cité dans le quotidien : « Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leurs familles au service public de l’éducation  ». Si certains syndicats classés très à droite n’y voient que du bla-bla, le Café pédagogique y voit, lui, souligne la journaliste, un moyen de contrôler la parole enseignante en particulier sur les réseaux sociaux.

LIBERTE DE PAROLE

Rappelons avec l’excellent dossier de POUR, la revue de la FSU (N°214, février 2019), que la liberté d’expression est pleinement garantie par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983. Mais comme le notent les rédacteurs de ce dossier, « les obligations des agents sont nombreuses : neutralité, laïcité, discrétion et conformité aux instructions ». Le Conseil d’Etat, de plus, a créé l’obligation de réserve. Il ne faut pas que l’opinion de l’agent porte atteinte à l’image du service public. «  L’obligation de réserve est plus souple pour les agents investis d’un mandat politique ou de responsabilités syndicales ».
De tout temps, concluent les rédacteurs, les pouvoirs ont cherché à « faire taire toutes les critiques des réformes régressives ». A la conception « d’un fonctionnaire (qui) est une personne de silence, qui sert, qui travaille et qui doit se taire » notent les rédacteurs, le Conseil d’Etat a opposé « quelques principes en insistant sur l’inutilité législative de l’article 1 » de cette nouvelle loi.

ANGOISSE

C’est justement la liberté de parole d’un professeur qui s’exprime dans une tribune bien nommée (Le Monde du 4 février). Notre collègue agrégé d’Histoire-géo y exprime ses plus vives inquiétudes face à la politique éducative menée par le gouvernement : « Comme pour Parcoursup l’an dernier, les enseignants encaissent vos choix, avec l’espoir que cette fois-ci la méthode sera meilleure, les inquiétudes écoutées, le calendrier tenable. Quand votre consultation des professeurs n’entraine aucun changement, je suis angoissé. Quand vous balayez le vote du Conseil supérieur de l’Education, je suis angoissé. ». Pour notre collègue, les enseignants restent professionnels et ne montrent pas cette angoisse qui monte. « Ils font tenir un système qui engendre pourtant cette angoisse permanente. »
Mais souligne ce professeur, l’angoisse est dangereuse. Politiquement surtout. « Elle est le terrain du désengagement des professeurs qui refusent de servir de vigies républicaines aux élections pour porter au pouvoir une politique qui renie l’idée d’un système éducatif républicain, c’est-à-dire, respectueux de nos agents ».
Que réclame donc notre collègue ? Du temps. « Je voudrais du temps, nous voudrions du temps, du temps pour comprendre, pour préparer, pour accompagner ». Et comme une mise en garde qui clôt cette tribune : « Par deux fois, dans notre histoire récente, si l’extrême-droite a pu accéder au 2e tour de l’élection présidentielle, c’est parce qu’un gouvernement de gauche n’a pas su écouter ses professeurs. (...) La leçon vaut pour la gauche, pour la droite, pour toute organisation politique ».

MOBILISATION

« Une trentaine de lycées ont fait l’objet d’occupations le 12 février par des enseignants et des parents  » écrit M. Battaglia la spécialiste des questions éducatives du Monde.
Enquêtant sur le terrain, elle raconte comment ces lycées ont pris part à la « nuit des lycées » à Sceaux, Vanves, Bondy, à Malakoff ou dans Paris. « Nous pensons que la gravité des attaques que subit le service public d’éducation à travers les réformes du lycée justifie une mobilisation d’ampleur » lui ont confié les enseignants interrogés.
Rue de Grenelle, on se dit attentif « à ce qui se passe » et dans les Rectorats, « on surveille la situation », constate la journaliste. Mais les « participants veulent bien croire à une montée en puissance ». Un 3e épisode est évoqué.
En effet, la contestation ne faiblit pas et c’est aussi le constat de notre secrétaire générale, Frédérique Rolet (L’US Mag, numéro 785) : « La prise de conscience grandit chaque jour : méfaits des réformes du bac et du lycée, effets des suppressions de postes sur le terrain, l’action s’impose. » Elle souligne que les actions les plus inventives et imaginatives sont là sur le terrain et que plus personne n’est dupe de cette politique désastreuse : « tout le monde a bien compris que la pseudo-liberté donnée à la réforme du lycée tentait vaille que vaille de dissimuler l’accroissement des inégalités mais aussi que budget et idéologie de la sélection étaient les boussoles en matière de politique éducative. ». Notre secrétaire générale conseille de renforcer le rapport de force et de permettre un mouvement d’envergure au mois de mars.

Pour le S2 67,
Ludmilla Fermé