Le lycée 4.0, voulu par le Grand Est et soutenu par les trois académies, a eu des débuts difficiles. Les syndicats enseignants et des parents demandent un moratoire, tandis que les institutions voient les problèmes résolus et les usages changer.
• Les difficultés techniques sont-elles résolues ?
Le tour d’horizon effectué, en novembre dernier, par deux associations de parents, la FCPE et la Peep, ainsi que le syndicat enseignant Snes-FSU avait fait apparaître de gros dysfonctionnements. Depuis, les infrastructures ont été améliorées par la région Grand Est et la puissance de débit augmentée, même si la bande passante est encore considérée comme insuffisante, çà et là, au regard des besoins. L’autre problème de taille tient aux manuels numériques eux-mêmes dont le contenu ne peut être téléchargé avec un identifiant individuel que depuis peu. Un délai dû à la nécessité de protéger les données personnelles des usagers. Entre-temps, ceux-ci ont tenté l’utilisation en ligne, via l’espace numérique de travail des établissements, et compensé par des PDF, des photocopies… « On n’a pas été surpris par les dysfonctionnements eux-mêmes, mais par leur durée », soupire un prof.
Surcharge de travail
• Quel impact dans les classes ?
Du côté du Snes-FSU, Jean-Louis Hamm, au niveau académique, comme Agnès Miegeville, dans le Haut-Rhin, constatent du stress, une surcharge de travail et au final « une insatisfaction professionnelle » pour les professeurs confrontés à la fois à des complications quotidiennes, les ordinateurs et tablettes des élèves n’étant pas tous les mêmes, et contraints de prévoir toujours « un plan B ». Tout en saluant « les efforts » des équipes pédagogiques, la FCPE 68 (Fédération des conseils de parents d’élèves) s’inquiète que les élèves, notamment de terminale, puissent être mis en difficulté. Même si certaines familles sont allées jusqu’à racheter des manuels papier, elles comptent, au vu de leur investissement, que le matériel soit utilisé. D’autant, rappelle la présidente Florence Claudepierre, que « la fédération n’est pas contre le numérique, mais elle maintient une revendication de gratuité et demande que tout soit pris en charge ».
• Efficacité ou précipitation ?
Les représentants des enseignants et des parents reprochent à la région Grand Est une expérimentation « à marche forcée ». Certains auraient préféré une année d’anticipation et la plupart au moins une « montée en charge progressive » , niveau par niveau. S’il comprend l’ « agacement », Marc Neiss, délégué académique au numérique au rectorat de Strasbourg, ne partage pas cet avis. « Que tout un lycée se lance, cela permet de franchir le fleuve, note-t-il, même s’il y a des dommages. » D’où, pointe-t-il, « l’important dispositif d’accompagnement » , des formations ponctuelles, proposées par les profs référents dans les lycées, et d’autres plus institutionnelles, pour l’essentiel à venir. Des agents techniques de la région peuvent aussi intervenir en cas de problème.
• Quels effets sur la pédagogie ?
Ils sont encore difficiles à mesurer, ne serait-ce qu’en raison de la difficile mise en route. « Le temps qu’on a passé à contourner les problèmes ne nous a pas forcément permis de développer des idées pédagogiques originales , confie un enseignant de lycée. On a sauté dans le bain ! On découvre au fur et à mesure des outils gratuits en ligne qui permettent du travail collaboratif sur un document avec les élèves. L’intéressant, c’est d’aller plus loin que les manuels numériques qui restent souvent rudimentaires. » Marc Neiss prévoit de tirer un bilan disciplinaire d’ici un ou deux ans, grâce à un observatoire des nouveaux usages avec les corps d’inspection.
• Y aura-t-il un moratoire ?
C’est ce que demandent toujours le Snes-FSU et la FCPE, en plus d’un « bilan objectif ». Le premier regrette d’être traité avec « une grande légèreté » par la région, quand la seconde déplore « un dommageable manque d’échanges ». Pour l’heure, ceux-ci ont lieu avec les autorités académiques et les proviseurs, dans « une transparence qui est correcte » , selon Jacky Schlienger, au SNPDEN, syndicat des personnels de direction.
Mieux informer
À la région Grand Est, Christine Guillemy, vice-présidente chargée de la formation initiale, du lycée et de l’apprentissage, assure qu’un comité de suivi sera bientôt en place, avec les représentants des parents, des enseignants, voire des élèves. « Il faut qu’on informe mieux les familles. On fera un état de l’avancement, peut-être un premier bilan. » Il n’est pas question d’un moratoire qui serait, à ses yeux, « contraire à l’histoire ». « Il faut donner à nos enfants tous les moyens de réussir, argumente-t-elle. Le Grand Est est précurseur. À terme, le ministère développera le numérique dans tous les établissements. »
• Quelle sera l’ampleur de la deuxième vague ?
Le rectorat recommande que le passage au lycée 4.0 ne se fasse qu’après validation en conseil d’administration. D’après certains échos et au vu des difficultés, les candidatures pour la rentrée 2018 se « ralentissent ». « À quel moment le saurons-nous ? », s’inquiète la FCPE 68 qui appelle ses élus à poser la question dans les établissements. Pour leur part, Marc Neiss et Christine Guillemy se veulent encourageants, rappelant que le gestionnaire d’accès aux ressources – l’interface de l’Éducation nationale, désormais opérationnel – facilite l’usage des manuels numériques.
L’appel à projets, ouvert le 10 février, se clôt aujourd’hui et il pourra y avoir des retardataires. « On devrait être fixés en avril. L’Éducation nationale et la région choisiront parmi les volontaires ceux dont la proposition est portée par toute une équipe éducative et où les réseaux le permettront », précise Christine Guillemy. « Il y a une posture de prudence, notamment dans les établissements où il y a un changement de chef », prévoit Marc Neiss, qui table sur « une volumétrie équivalente à cette année », soit une dizaine de lycées 4.0 de plus pour l’Alsace.
L’Alsace, par Catherine Chenciner