On comprend et on mémorise mieux un texte lu sur papier que sur écran, explique l’universitaire strasbourgeois Frédéric Bernard, en se basant sur des analyses quantitatives. Qu’en sera-t-il pour les élèves dans les lycées passés au tout numérique ? (article de Catherine Chenciner dans l’Alsace, 24 avril 2019)
À cette question jusqu’ici restée ouverte, l’universitaire Frédéric Bernard apporte des éléments de réponse. Dans un article récemment paru dans The Conversation France, vous écrivez que lire sur papier et sur écran, c’est différent. En quoi ?
Il y a des différences cérébrales en termes de traitement des textes. La compréhension est significativement meilleure lorsque la lecture s’effectue sur papier que sur écran. C’est ce qui ressort de travaux menés depuis plusieurs décennies, qui ont été repris dans deux méta-analyses publiées en 2018 : celle de Kong, Seo et Zhai, et celle de Delgado et de ses collègues portant sur plus de 50 études quantitatives. Au début des années 2000, on a commencé à parler de cognition incarnée. Il y a une dimension corporelle du traitement de l’information. La représentation cérébrale est plus riche. Ce qui est vu et lu est associé à des représentations visuelles et cognitives, mais aussi à des indices implicites sensoriels et moteurs. Comme sentir le poids d’un livre, le manipuler, tourner les pages, savoir qu’à l’inverse d’un support électronique qui est un autre contenant, c’est un objet spécifique, avec un titre, une couverture. À l’issue d’une lecture sur écran, il est ainsi plus difficile de retrouver un passage, ou l’ordre des éléments.
Quelles peuvent être les conséquences pour des élèves n’utilisant que des manuels numériques ?
Si on s’en tient aux résultats des études scientifiques, cela ne va pas permettre d’améliorer la compréhension des textes pour des élèves ayant des difficultés. L’idéal serait de faire des comparaisons entre une classe utilisant un support papier, une autre les écrans et une troisième disposant du papier à l’école et d’une version numérique à la maison, ou l’inverse, pour voir si on confirme les résultats et pour trouver peut-être un compromis. D’un point de vue pédagogique, il peut y avoir un intérêt à combiner intelligemment ces deux supports. Je ne suis pas technophobe, et cela n’engage que moi, mais je pense qu’il faut garder le papier pour une lecture profonde et le numérique en parallèle, pour une lecture plus rapide et des vérifications. Il y a un autre aspect : l’oculométrie permet de déterminer, pendant la lecture, la façon dont un texte est exploré. Le temps de fixation sur écran est plus court, on peut considérer que le traitement est plus superficiel, ce qui a aussi un effet sur la compréhension. Selon ces études, la différence est plus significative pour les textes documentaires que pour les romans. Elle l’est quand le vocabulaire est plus spécifique et technique, qu’il y a des mots nouveaux. Cela dépend aussi du niveau de connaissance préalable du lecteur.
L’un des arguments en faveur du numérique est son attractivité pour les jeunes. Qu’en pensez-vous ?
Les études montrent que le fait d’ajouter des images permet d’améliorer la compréhension si elles ne sont pas seulement là pour attirer l’œil, mais sont utilisées de manière pertinente, qu’elles sont proches du texte. Un texte bien conçu doit favoriser les liens entre les éléments, associer et répéter les concepts. On a pu faire l’hypothèse que la compréhension sur écran dépendrait du degré d’exposition aux nouvelles technologies. Or, dans les études les plus récentes, les écarts avec le papier augmentent, ce qui est peut-être le signe d’une utilisation plus raisonnée des écrans. La nouveauté du numérique peut motiver dans un premier temps, mais, sur le moyen ou le long terme, cela ne peut pas suffire à maintenir le désir de lire. Les lycéens ont appris à lire sur un support papier, cela limite les conséquences, mais il y aurait une réflexion à engager avant d’appliquer ce type de dispositif plus tôt.